En janvier 2020, l’humanité est touchée par une pandémie causée par le SARS-cov-2, un virus de la famille des coronavirus. Un virus est un organisme vivant capable de parasiter d’autres organismes, généralement cellulaires, pour les reprogrammer afin qu’ils deviennent des usines de production de particules virales. Deux phases dans le cycle de vie d’un virus sont distinguées :
Pour faire face à cette épreuve, les gouvernements décident de prendre des mesures en suivant les recommandations de conseils scientifiques. Après deux ans, la situation ne semble toujours pas favorable puisque les mesures sanitaires restent en vigueur. Cependant cet événement a permis de procéder à des avancées en santé publique, mais il a également révélé des faiblesses dans notre système d’organisation sociétal. En tant que phylogénéticien, spécialisé dans le monde microbien et viral, je pense qu’il est de mon devoir d’apporter mon analyse objective sur cette pandémie et sa gestion en France, pour éclairer mes concitoyens.
Les politiciens ne sont pas des spécialistes dans le domaine des sciences. Ils ont donc besoin de l’avis d’un groupe d’experts, dont la mission est de fournir plusieurs solutions applicables possibles. Les politiciens doivent ensuite étudier chaque proposition en fonction d’autres paramètres (législatifs, sociaux, sociétaux, budgétaires, organisationnels, etc.). La solution retenue est donc multiparamétrique et ne peut pas satisfaire tous les points de vue. En outre, il est nécessaire d’agir rapidement et de choisir une première orientation pour ne pas rester spectateur d’une situation.
Nous vivons actuellement dans un modèle de société conformiste. Ainsi un problème d’ordre de santé humaine doit être forcément l’expertise de scientifiques du domaine de la santé humaine. La conséquence de cette orientation idéologique a entrainé la formation d’un conseil scientifique formée à 65% de scientifiques de formation médicale, 18% de scientifiques de formation biologiste et 18% de scientifiques de formation en sciences humaines. En France, les études de médecine sont l’une des plus difficiles du cursus universitaire. Elle prépare un individu à la connaissance du corps humain de la cellule à l’organe. Son objectif est de former des soignants capables de reconnaître une maladie (diagnostic) et de proposer un traitement (soin) en prenant compte de nombreux facteurs. Malheureusement, il n’est pas possible pour ces étudiants de recevoir un enseignant complet sur tous les aspects de la biologie. La biologie moléculaire (eg. l’étude de l’ADN), la génétique (étude des gènes) et la génomique (étude de l’ensemble des gènes d’un organisme et des autres éléments de l’ADN) sont très faiblement explorées au cours de la formation médicale. En outre, le cursus médical génère, à mon sens, un biais dans l’observation scientifique, car un médecin aura toujours tendance à réaliser une approche pathologique qui divise le monde en deux éléments : le sain et le malade.
L’Ecole Normale Supérieure de Lyon propose « un enseignement à la recherche par la recherche ». A mon époque en tant qu’étudiant (2006 à 2008), le directeur du pôle biologie, Ioan Negrutiu, a fortement insisté, à travers ces cours, sur le fait qu’une approche pluridisciplinaire était essentielle à la réalisation d’un projet de recherche. Il prônait d’ailleurs pour des lieux d’échanges entre les scientifiques d’horizons différents d’un même institut, comme une zone de détente commune où mathématiciens et biologistes pourraient discuter. Plus tard, je rencontrais Richard Christen, mon futur directeur de thèse, qui m’expliquait son incompréhension dans la constitution d’équipes de recherche internationale sur l’étude de la flore microbienne des sols sans la présence d’un géologue…
Le conformisme du conseil scientifique en France, pays de Louis Pasteur, a malheureusement réduit le champs des possibles et l’ambition des solutions proposées. Ainsi les approches de biologie moléculaire ont été, dans une première intention, occultées. Pourtant, la PCR, développée en 1983 et perfectionnée en 1986, est une méthode largement utilisée en biologie depuis les années 1990. Les analyses d’échantillons humains sont le monopole exclusif des médecins biologistes. Ces derniers utilisent principalement des approches par culture cellulaire, technologie datant de Pasteur et ses pairs. La PCR est réservée pour les cas où la culture est complexe : virus et bactéries intracellulaires. Sachant que les analyses virales sont cantonnées à quelques virus, l’usage de la PCR était donc réduit. Ceci pourrait expliquer les réticences initiales du conseil scientifique français à réaliser des tests PCR pour détecter le SARS-cov-2. Quand au séquençage du génome viral, un très faible enthousiasme semble y être porté, même actuellement. Il faut d’ailleurs faire attention à ce que l’on entend par séquençage. Aujourd’hui, la majorité du séquençage correspond à un séquençage des produits de ces tests PCR pour définir les variants. A l’échelle du génome viral, cela représente à peine 1% du total de l’information génétique du virus…
La vie, c’est la diversité. D’ailleurs la diversité est la stratégie de la vie pour faire face à toutes les situations possibles, comme les grandes extinctions planétaires qui n’ont jamais eu raison de la vie sur Terre. Ces observations doivent nous servir à enrichir notre modèle sociétal. Il aurait été bénéfique de proposer un conseil scientifique plus ouvert, avec des représentants du domaine de l’agroalimentaire, de la santé animale et de l’écologie virale. Ces derniers ont recours à des stratégies et méthodologies différentes qui auraient apporté une vision plus ambitieuse et d’autres solutions. Il est dommage que la problématique du SARS-cov-2 ne reste que focalisée principalement sur l’humain. L’écologie virale (les autres espèces hôtes, la circulation des virions, etc.) a été très peu explorée et des questions, qui depuis longtemps restent sans réponse, auraient pu être résolues.
Enfin, face à une situation nouvelle comme la pandémie du SARS-cov-2, il est impossible de savoir a priori quelle stratégie sera la meilleure pour protéger les citoyens. Il est nécessaire de réagir rapidement et de choisir une solution disponible. Néanmoins, il n’est pas acceptable de vouloir rester sur une orientation coûte que coûte, malgré des observations qui montrent que cette dernière est loin d’être optimale. Le monde est une expérience à ciel ouvert. Tous les pays n’ont pas choisi les mêmes stratégies face à la covid-19, pour des raisons politiques, sociétales ou culturelles. Mais force est de constater que peu de gouvernements ont eu le courage de modifier leur plan d’actions pour s’adapter face à la situation ou aux nouvelles connaissances acquises, en prenant le meilleur des autres solutions et en abandonnant les mesures désuètes. Il semble que dans nos sociétés, l’adaptation soit ressentie comme une marque d’hésitation et un manque de confiance. Si bien que les politiques, qui sont sélectionnés par ce système, sont totalement réfractaires à l’idée d’un changement ou ne peuvent reconnaître que la solution qu’ils ont choisie n’est pas optimale et qu’elle nécessiterait une amélioration.
La vie, c’est la diversité mais c’est également le changement. Nos sociétés doivent rapidement abandonner leurs principes conservateurs qui nuisent grandement à leur épanouissement.
Nous vivons à l’âge du silicium, une période marquée par d’importants progrès technologiques, en particulier dans le domaine de l’informatique et de l’électronique. A un tel point que de nombreux objets de notre quotidien appartiennent au monde du numérique : télévision, téléphone, tablette et même voiture ! Je ne parlerai même pas de mon domaine la biologie et de l’explosion de la bioinformatique. Mais cette période est également marquée, paradoxalement, par un important refus de ces avancées. En France, ce déni est allé jusqu’à inclure le principe de précaution dans la Constitution, qui nous empêche de conduire des recherches dans certains domaines des sciences.
Face à la crise sanitaire, nos sociétés ont dû bousculer leurs habitudes et refaire confiance aux technologies. Les laboratoires d’analyses humaines ont pris la mesure des avancées en biologie moléculaire, en renforçant leur investissement dans le matériel (thermocycleur voire séquenceur). Les politiques ont également compris l’importance de ces technologies et ont impulsés des investissements dans ces secteurs. Pour faire du séquençage ou de la PCR, il est nécessaire d’utiliser des enzymes de réplication de l’ADN : les ADN polymérases. Pendant la crise, ces dernières ont rapidement fait défaut et les pays producteurs, comme les Etats-Unis, ont réquisitionné les stocks. Aujourd’hui, l’autonomie de notre pays face à ces denrées semble être un axe stratégique pour le gouvernement.
Le vaccin est l’un des outils dans la lutte contre un agent infectieux. Une personne vaccinée possède les capacités d’une réponse immunitaire ciblée contre le pathogène. Le vaccin n’empêche pas les infections, mais il permet au corps humain de disposer rapidement d’une réponse immunitaire efficace. Inventer un vaccin est un processus long sans réelle garantie de succès. Les vaccins génétiques (ARN ou ADN) ont été développés dans les années 1990. En utilisant un morceau de code génétique codant pour une protéine spécifique, il est possible d’obtenir une réponse immunitaire contre cette protéine. La difficulté réside dans l’adressage de cette ARN/ADN à la cellule humaine qui exprimera la protéine. Il faudra attendre l’avènement des nanotechnologies pour permettre une amélioration significative de ces biotechnologies. Actuellement, ce sont des nanoparticules lipidiques, capable de traverser la membrane lipidique de la cellule, qui permettent le transport de l’ARN/ADN vers la cellule cible. Bien qu’applicable aux maladies infectieuses, le vaccin génétique a longtemps été destiné au traitement du cancer. Une cellule cancéreuse est généralement invisible au système immunitaire. Le vaccin va permettre de rendre à nouveau la cellule détectable et de l’éliminer, mais l’adressage spécifique aux cellules cancéreuses reste encore un défi. Malgré son avantage avec une phase de développement rapide, cette technologie n’a jamais pu s’imposer, principalement pour des raisons conservatrices puisque d’autres méthodes existent. La covid-19 a permis de franchir le pas, et d’imposer cette technologie. Les observations pour le SARS-cov-2 ont même montré que certains vaccins utilisant d’anciennes méthodes (adenovirus) comme celui d’AstraZeneca présentaient plus de risques que les vaccins génétiques.
Le dernier point positif de la covid-19 apparaît quand on mesure l’impact qu’elle a eu sur les habitudes d’hygiène. Les outils thérapeutiques comme les médicaments ou les vaccins sont de puissants leviers face aux maladies, cependant il ne faut absolument pas négliger l’impact des habitudes d’hygiène. La tuberculose a connu son apogée épidémique au cours du XIXème siècle. A cette époque, les armes principales que nous disposons aujourd’hui, les antibiotiques et le vaccin BCG, n’existaient pas encore. Pourtant, il a été rapporté une baisse significative de l’incidence à la suite de campagnes d’éducation sur les mesures d’hygiènes (aération des habitations, etc.) et de lois de santé publique (eg. interdiction de cracher sur la voie publique). Le SARS-cov-2 a profondément modifié notre rapport à l’hygiène dans les espaces publics. Désormais, des distributeurs de gels hydroalcooliques sont disponibles un peu partout et favorisent un lavage plus régulier des mains. Au plus fort de la crise sanitaire, ces dispositions ont permis un important recul d’autres maladies saisonnières. L’usage du masque, en particulier lorsque la personne est malade, reste une stratégie payante pour limiter la dispersion virale.
Bien que la covid-19 ait été une épreuve de santé publique, il convient de rappeler que sa mortalité reste faible en comparaison de certaines espèces virales du domaine Riboviria (Nipah virus, Ebola virus, etc.). L’échec majeur des stratégies de santé publique actuelles se caractérise par l’absence d’un plan d’actions permettant de contenir efficacement une épidémie et une pandémie. Il semble nécessaire d’intervenir sur au moins trois niveaux pour juguler ce type de problème :
Il est certain que d’autres paramètres, connus ou inconnus, jouent également un rôle dans la dispersion virale, aussi un important effort de recherche fondamentale sur l’écologie virale doit être mené en parallèle sans attendre la survenue de la phase aiguë d’une crise sanitaire.
Une autre voie d’amélioration de notre société réside dans la réforme du système de normes. C’est une évidence de dire que lorsqu’une norme est mise en application sur une problématique de biotechnologie, la technologie ou la méthodologie qu’elle encadre est déjà désuète. Pourtant les normes sont essentielles pour garantir la qualité d’un produit ou d’un service. J’ai eu la chance de participer à un projet innovant de start-up concernant le développement d’une méthode de détection virale dans le cadre des maladies infectieuses du tube digestif. L’objectif visait à proposer des solutions qui permettaient d’identifier rapidement et précisément des virus pathogènes dans des matrices alimentaires. Malgré un succès rapide à la fois technique et commercial (la start-up ayant été rachetée par un groupe), le projet ne peut toujours pas atteindre son apogée, principalement à cause des normes en vigueur. En effet, ces dernières demandent principalement la détection de pathogènes bactériens dans les denrées alimentaires. Pourtant, les virus responsables d’intoxication alimentaire sont décrits dans la littérature scientifique comme des menaces sérieuses de santé publique. Deuxièmement, les normes imposent des contraintes de détection qui ne sont pas compatibles avec les méthodes PCR. Elles sont basées sur des technologies de type culture cellulaire, dont nous avons vu que la fiabilité est limitée. Pour la Covid-19, nous ne pouvons que constater l’effet délétère des normes sur notre capacité à nous adapter face à une situation. Je prendrai l’exemple du vaccin génétique contre le SARS-cov-2. La méthodologie de validation des vaccins ne permet pas de prendre en considération les apports technologiques de ces nouveaux types de vaccin. Le vaccin ARN est basé sur une molécule (un ARN messager) possédant la même séquence que la protéine S du SARS-cov-2. Très rapidement, la communauté scientifique a observé l’apparition de nouveaux variants du SARS-cov-2, dont les mutations se localisent entre autre sur cette protéine S. Des cas de réinfections avec ces nouveaux variants ont également été publiés. Ainsi nous pouvons émettre l’hypothèse que les anticorps dirigés contre la protéine S du premier variant ne soient pas aussi efficaces face aux modifications portées par les nouveaux variants sur cette protéine (stratégie d’évitement viral). La production du vaccin à ARN pourrait être adaptée à la séquence de la protéine S du variant majoritaire circulant. Cependant cette stratégie est impossible, non pas techniquement, mais financièrement et idéologiquement, puisque le vaccin devrait être réévalué à chaque modification. Le système de normes doit être repensé pour être plus adaptatif et mieux suivre l’évolution des technologies.
Enfin je terminerai cette réflexion sur un problème qui touche plus particulièrement ma communauté. Depuis que j’ai commencé à travailler comme scientifique, j’ai pu constater les effets négatifs du système de publications scientifiques actuel. Tout d’abord, il n’est plus adapté à l’ère du numérique, qui a vu naître Wikipédia et une nouvelle méthodologie d’archivage des données intellectuelles. N’est-il pas agréable de pouvoir rapidement s’instruire sur un sujet en naviguant de liens hypertextes en liens hypertextes ? J’entends les critiques sur le système de contribution de Wikipédia, mais le format est particulièrement agréable. En sciences, nous sommes contraints de passer par des moteurs de recherche puis de lire des articles de manière indépendante. S’il vous manque des notions, vous serez obligé de repasser par le moteur de recherche. A cela s’ajoute l’aspect payant, sur des projets pourtant financés par de l’argent public, qui réduit l’approche bibliographique dans certain cas. Surtout qu’il n’est jamais garanti de trouver l’information que l’on recherche in fine dans un article payant. Je trouve dommage que la communauté scientifique ne puisse pas proposer un outil comme Wikipédia. De nombreux étudiants réalisent chaque année des travaux de mémoire ou de thèse de haute qualité, relus par des professeurs, qui pourraient rapidement alimenter cette encyclopédie universitaire. Il faut également savoir qu’une publication scientifique coûte en moyenne 2 000 euros pour le scientifique qui soumet son travail. Elles sont également l’indicateur principalement utilisé pour estimer la qualité d’un scientifique ou d’un laboratoire. Ce point génère un effet pervers à un changement de système, car cela remet en cause tout un mode de management. Il est aussi important de mentionner que tous les domaines d’études ne sont pas traités de la même manière par le système actuel de publications. Des collègues scientifiques rencontrent des difficultés à soumettre leurs travaux aux journaux scientifiques lorsque ces travaux sont avant-gardistes ou « exotiques ». En effet, les journaux sont évalués sur leur impact factor, un score permettant de savoir si un journal est cité ou non dans la littérature scientifique. Ceci pousse les éditorialistes à sélectionner les travaux ayant de grandes chances d’être ultérieurement cités. « Thank you for your submission, but your interesting work is over the scope of our journal… ». Si le premier argument contre Wikipédia porte sur la qualité des contributeurs et du système de relecture, la crise sanitaire a révélé le même problème avec certains articles publiés dans de grands journaux et relus par des pairs. N’est-il pas temps de passer à un système axé sur la facilité d’accès qui intégrera et centralisera de façon plus efficace les travaux de mémoire de nos étudiants et les découvertes scientifiques ?